Le camp de Buchenwald, situé à une dizaine de kilomètres de la ville de Weimar, est créé en 1937. Un premier transport de détenus arrive du camp d’Oranienburg-Sachsenhausen le 16 juillet, pour lancer la construction et déboiser le secteur.

En fin d’année l’effectif est de 2 912 détenus, mais passe à 20 112 à la fin de l’année 1938, dont plus de 10 000 sont des Juifs allemands internés à la suite du pogrom de la « nuit de cristal ». (La plupart furent libérés, après que des pressions aient été exercées pour les inciter à « acheter » leur remise en liberté, à « revendre » leurs biens à des non- juifs, tout en prenant l’engagement de quitter l’Allemagne).

Les premiers antifascistes et Juifs autrichiens arrivent également en fin d’année 1938.Au cours de cette phase de construction et d’aménagement du camp, la domination des « droit commun » dans la hiérarchie interne des détenus, rend particulièrement difficile la condition des autres détenus, politiques, antifascistes communistes et sociaux démocrates allemands, les plus maltraités restant les Juifs et les Tsiganes.Avec le déclenchement de la guerre, en septembre 1939 et à mesure des avancées de la Wehrmacht, la population concentrationnaire s’internationalise. Après les otages tchèques et slovaques déportés lors de l’annexion des Sudètes, affluent, dès octobre 1939, des milliers de Polonais. Puis, en 1940, arrivent des déportés d’Europe de l’Ouest, Hollandais, Belges, Luxembourgeois et, à partir de juin, quelques Français du Nord et des départements d’Alsace et de Moselle.

La rupture du traité germano-soviétique et l’entrée en guerre contre l’URSS, le 22 juin 1941, entraînent la déportation de milliers de prisonniers de guerre soviétiques. Le traitement particulièrement odieux qui leur est réservé par les SS suscite, le 18 octobre 1941, une réaction spontanée de solidarité de la part des autres détenus, allemands, autrichiens, espagnols et autres nations présentes. Les SS, qui tiennent à empêcher toute forme ou manifestation de solidarité, exercent des représailles immédiates d’une grande brutalité. L’événement n’en constitue pas moins une étape significative dans l’histoire politique du camp.
A Buchenwald, YAktionkugel, consistant à abattre un prisonnier d’une balle dans la nuque, fera 8 000 victimes parmi les prisonniers de guerre soviétiques.

En février 1943, le désastre allemand de Stalingrad et les pertes qu’y subit la Wehrmacht, suivi en mai 1943 de la capitulation des forces de l’Axe en Afrique du Nord, consacrent la fin des grandes offensives de la Wehrmacht, le début des combats de défense et la mise au service de toute l’économie allemande au profit de l’effort de guerre. Cette évolution n’est pas sans répercussion dans l’histoire concentrationnaire, tant l’Allemagne, par besoin croissant de main- d’œuvre, va intensifier les déportations.

Des prisonniers arrêtés dans toute l’Europe sont envoyés à Buchenwald où bientôt 35 nations différentes se côtoient. C’est aussi la période où « Rouges » et « Verts » se livrent un combat sans merci pour le contrôle de la hiérarchie interne, qui voit en 1943 les postes-clé de l’administration basculer des mains des « droit commun » entre celles des « politiques », pour l’essentiel communistes allemands. A mesure de l’arrivée au camp des résistants et des communistes étrangers, une organisation clandestine internationale se met en place. Au cours de l’été 1943, un Comité international clandestin de résistance est créé, avec pour objectif de conserver le contrôle de l’administration parallèle, d’être informé des projets secrets de la SS, d’encourager le sabotage et, dans la mesure du possible, d’organiser la solidarité.

De 1943 à la fin 1944, voire au tout début de 1945, le camp devient un vivier de main-d’œuvre corvéable à merci et renouvelable à volonté, pour la production de guerre. Le développement des Kommandos s’amplifie. Des usines sont installées dans l’enceinte du camp : la DAW (ateliers allemands d’armement), la Gustloff qui fabrique des armes légères et la Mibau-Siemens qui fabrique des pièces de précision pour les V2. L’exploitation des déportés tourne à l’extermination par le travail.

En tout, Buchenwald comptera 136 Kommandos, dont certains sont plus exposés et meurtriers que d’autres. Les Kommandos extérieurs les plus connus sont ceux d’Ohrdruf, Schlieben, Berga Elster, Neu-Stassfurt, Laura, Gandersheim, Plomitz-Leau, Trôglitz, Langenstein et bien sûr Dora qui deviendra, le 29 octobre 1944, un camp de concentration autonome, centre de production et d’assemblage des fusées V1 et V2. Le travail d’enfouissement du projet « Mittelbau » de production des armes de représailles, mené à un rythme infernal, où la vie d’un détenu compte très peu, fait de Dora le « cimetière des Français » qui y sont envoyés en grand nombre.

Par ailleurs, à partir de juin 1944, près de 30 000 femmes, de quinze à trente ans, sont envoyées dans vingt-sept Kommandos rattachés administrativement au camp de Buchenwald. Elles viennent d’Auschwitz, Maidanek, Ravensbrück, Bergen-Belsen, et sont envoyées sur les lieux mêmes de production. Elles sont aussi durement exploitées que les hommes et prennent une part non négligeable dans les actions visant à freiner ou saboter la production.

Un nouveau camp, appelé camp II par l’administration SS ou petit camp par les détenus est improvisé à partir de 1942 pour servir de quarantaine. Isolé du grand camp, il dispose de baraquements rudimentaires dépourvus d’équipement, où s’entassent jusqu’à 1 000 voire 1 500 détenus par baraque, notamment au moment des grandes évacuations. Les détenus reconnus aptes au travail sont transférés au grand camp, tandis que ceux qui sont jugés inaptes et les malades restent au petit camp, transformé de fait en centre d’estropiés, d’infirmes ou de malades. En 1944, la capacité du petit camp étant insuffisante, deux grandes tentes sont dressées. Elles abriteront jusqu’à 6 000 détenus.

C’est en effet l’époque des grands transports d’évacuation, venus des camps de l’Est, au fur et à mesure de l’avance des troupes soviétiques. L’effectif du camp passe de 55 473 détenus en octobre 1944 à 63 048 fin décembre. Avec l’évacuation d’Auschwitz et de Gross Rosen en janvier et février 1945, le camp compte 86 232 détenus. Les nouveaux arrivés sont entassés au petit camp ou envoyés au percement de nouveaux tunnels dans les Kommandos, comme à Ohrdruf (13 726 prisonniers au 1er mars 1945), Langenstein (plus de 7 000), Ellrich (8 000). La mortalité dans ces Kommandos est énorme.

La Résistance joue un rôle important à Buchenwald dès lors que les « politiques » réussissent à se faire attribuer les postes-clés de l’administration interne. Ils parviennent à faire mettre sur pied par la SS une « police intérieure du camp » (Lagerschutz) dont les responsables appartiennent à la résistance clandestine. Leur pouvoir reste cependant aléatoire et il leur faut parfois faire des concessions pour donner le change.

Un Comité des intérêts français (CIF) se fait reconnaître par le Comité international clandestin du camp en juin 1944, grâce à l’action combinée de deux hommes, Marcel Paul, communiste, militant syndical, connu sur le plan international, et le Colonel Frédéric-Henri Manhès, compagnon et adjoint de Jean Moulin dans la Résistance. Ils s’efforcent avec détermination de défendre et de faire prendre en considération le sort des Français par le Comité international où des rivalités nationales se manifestent naturellement. Leur action se traduit par une amélioration du moral des Français et la sauvegarde de nombreux parmi eux.

Le sabotage de la production vise en priorité l’armement réduit à environ 40 % de sa capacité potentielle. A la faveur du bombardement du 24 août 1944 qui détruit complètement les usines d’armement et celles du programme « Mibau », le Comité clandestin récupère et cache des armes, souvent pièce par pièce, et des munitions en perspective d’une action d’autodéfense et de libération.

Entre le 6 et le 10 avril 1945, les SS évacuent en direction des camps de Flossenbürg, Dachau, Leitmeritz, Theresienstadt, plus de 26 000 détenus, dont la presque totalité du petit camp, et les 9 000 arrivant d’Ohrdruf.
Neuf convois ont été ainsi jetés sur les routes ou les voies ferrées, souvent d’abord en wagons de marchandises, puis à pied, toujours dans des conditions extrêmes qui ont conduit à une véritable hécatombe.
Tout homme qui, épuisé, tombait ou s’arrêtait était abattu d’une balle dans la tête. C’est ainsi qu’en ce tragique mois d’avril près de 30 000 déportés furent massacrés, d’où le nom de marches de la mort qui a été donné à ces évacuations.

Le 11 avril 1945 survient la libération du camp de Buchenwald.
Dès le matin et jusque vers 14 heures, la tension monte, tant du côté des SS qui ont entamé leur repli pour échapper aux troupes américaines, qu’au sein du Comité militaire clandestin où se discute le moment le plus opportun de passer à l’action, sans risquer de provoquer un massacre. Constatant le départ (temporaire ou définitif) de la plus grosse partie des effectifs et de l’armement de la SS, la Résistance clandestine décide de passer à l’action, à l’aide de groupes d’intervention, le plus souvent encadrés par des militaires, entre lesquels avaient été réparties les quelques dizaines d’armes récupérées et jusque-là soigneusement dissimulées.

Lorsqu’arrivent les premiers éléments de l’armée Patton, le camp est sous le contrôle de la Résistance. Le journal de marche de la 4e division indique : « Avant notre arrivée, les postes de gardes ont été pris et 125 SS ont été capturés et sont internés au camp, où ils sont calmes. La direction du camp est entre les mains d’un comité bien organisé comportant toutes les nationalités représentées » .

Ainsi s’achèvent huit années d’existence du camp de Buchenwald, au cours desquelles périrent environ 56 500 détenus et où 238 980 ont pu être recensés.
Le 19 avril 1945, les 21 000 détenus présents au camp font le Serment de continuer le combat pour la paix et la démocratie.

Claude Mercier
livre mémorial FMD
2004

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